EMIL CIORAN
(1911-1995)
le roumain français sans pays
La formation intelectuelle
Emil Cioran est né le 8 avril 1911 à Resinár (alors en Autriche-Hongrie, actuelle Rășinari en Roumanie) et mort le 20 juin 1995 à Paris. Il est un philosophe, poète et écrivain roumain, d'expression roumaine initialement, puis française à partir de la parution de son premier livre écrit directement en français, Précis de décomposition. Bon connaisseur de la langue allemande, il a d'abord étudié Emmanuel Kant, Arthur Schopenhauer et plus particulièrement Friedrich Nietzsche.
Même depuis sa jeunesse, il a montré une inclination pour l'agnosticisme, montrant évidente "l'incrédulité d'existence". Au cours de ses études, il a été particulièrement influencé par la lecture de Georg Simmel, Ludwig Klages et Martin Heidegger, ainsi que par le philosophe russe Lev Sestov.
Emil Cioran part pour la France avec une bourse de l'Institut français de Bucarest. Après un bref retour au pays(deux mois) en 1940, il quitte définitivement la Roumanie et s'installe à Paris. Cioran publiera désormais uniquement en français, ses oeuvres étant appréciées non seulement pour leur contenu, mais également pour le style plein de distinction et la finesse de la langue.
Emil Cioran a vécu à Paris dans le Quartier Latin, qu'il n'a jamais quitté. Il a vécu longtemps renfermé, évitant la publicité. Durant cette période, il commence à écrire "Bréviaire des vaincus", son dernier livre en roumain, terminé en 1945. Sur le sol français, il vécut comme apatride après le retrait de la citoyenneté roumaine par les autorités communistes.
En 1949, il publie "Précis de décomposition", son premier livre en français, aux Editions Gallimard, où il publiera ensuite la plupart de ses livres. Le volume lui rapporte le Prix Rivarol en 1950, le seul qu'il recevra. Il refuse par la suite toutes les distinctions et prix à attribuer(dont Sainte-Beuve, Combat et Nimier), mais aussi des milliers de francs.
Dès 1952 à 1987 il publie ses volumes Syllogismes de l'amertume, La tentation d'exister, Histoire et utopie, La chute dans le temps, Le mauvais démiurge, De l'inconvénient d'être né, écartèlement, Exercises d'admiration et Aveux et anathèmes.
La France démocratique reste enthousiasmée par sa création. Le témoignage est le nombre impressionnant de prix qui lui ont été remis, mais que le compliqué et taciturne roumain refuse avec obstination. Après la publication du volume Exercises d'admiration, les critiques français définissent les thèmes directeurs de sa création: le sens tragique de l'histoire, la fin des civilisations, la menace maléfique de la création sous le signe du mal, la vanité de la foi , l'exil métaphysique.
Sa conception littéraire et philosophique
Il a commencé par être un penseur torturé par des sentiments et des sensations violentes, toujours préoccupé par les questions de la mort et de la souffrance, étant attiré par l'idée du suicide comme idée de soutien de la survie et comme thème de l'aliénation de l'homme, présente à Sartre ou à Camus, mais formulée par Cioran comme suit: "Est-ce pour nous l'existence un exil et le néant une patrie?".
Au milieu de sa vie, il a laissé la pensée systématique et des spéculations abstraites pour se consacrer à des pensées profondément personnelles, manifestées dans sa période épistolaire, dans laquelle il a cultivé le don de la conversation avec ses nombreux amis- Mircea Eliade, Eugen Ionesco, Paul Celan, Samuel Beckett, se révélant ainsi être un auteur exceptionnel du genre. Ainsi, en 1995, il a publié Lettres pour ceux à la maison. Dans la correspondance avec Mircea Eliade, Cioran a écrit: ''Il est impossible pour moi, cher Mircea, d'écrire sur un penseur que j'aime, sur un livre que j'ai lu, sur un événement que j'ai vécu. Ça sert à rien. La pensée doit être une chasse thérapeutique au sens cosmique.''
Dans Exercises d'admiration, Cioran a rendu hommage à Samuel Beckett. C'est expliqué par le fait qu'il a senti une affinité profonde et durable avec Beckett: ''J'ai passé une soirée avec les Becketts. Sam allait bien. Il m'a dit qu'il a commencé à écrire des pièces de théâtre pour changer, parce qu'il avait besoin de se détendre après avoir écrit ses romans. Il n'a pas pensé que ce qu'il considère comme une distraction ou une expérimentation acquerrait une telle importance.''
Cioran a introduit dans la philosophie le concept littéraire de désespoir existentiel. Les idées de l'écrivain se rassemblent autour de concepts au-delà de la raison(les paroxysmes, l'angoisse métaphysique, la folie, les peurs ancestrales) et, surtout, la destruction générale. On peut trouver dans ses pages des morceaux de la pensée de Kierkegaard et transposés en termes psychopathiques graves: la mort, le pressentiment de la folie, la désintégration à côté de la mélancolie et du désespoir. Une terminologie philosophique lyrique-psychologique qui, comme il le dit plus tard en France, l’aurait conduit à "l'écroulement de toutes choses et de toutes vérités".
L'homme est à ses yeux une marionnette du destin et des forces indépendantes de sa volonté, la philosophie, comme une discipline qui essaie de contrôler l'existence par un usage judicieux de la raison, ce n'est qu'un exemple de moquerie et de comédie d'Hybris humain. La mort et le silence sont ceux qui auront le dernier mot. Bien qu'il ait vécu en France jusqu'à sa mort, Cioran n'a jamais demandé la nationalité française, sans jamais retourner dans son pays d'origine.